samedi, septembre 30, 2006

ouzin le magicien de la peintre

Les fabuleuses aventures d’un sénégalais bienchanceux qui devint un artiste
« La façon dont je peins est aussi importante que le résultat final » explique Ouzin. Mêlant le geste à la parole, il me fausse compagnie, et court acheter une toile, de la peinture, et des lingettes. Il revient s’attabler au snack du centre commercial de la Mosson, remonte les manches de son t-shirt noir, impeccable, et commence par humidifier la toile avec une lingette. Puis, tout en parlant aux gens du quartier qui viennent le saluer, il dépose à la va-vite quatre gouttes de peinture sur la toile, et en moins de dix minutes, sous ses doigts jaunes et rouges, prennent forme un berger, une case, un taureau… Pour les détails, il a besoin d’un couteau. Il se baisse et ramasse par terre un petit bout de carton. Ca fera l’affaire.
« Waoh, t’es un artiste ? » s’exclame une collégienne de la Mosson, penchée sur le tableau qu’Ouzin vient de terminer. Sur la toile, un paysage africain flamboyant. C’est un artiste, oui. Et ce depuis le jour où il a troqué une montre contre un pyrograveur, pour faire ses premiers dessins sur bois. C’était il y a plus de 20 ans, à Thies, au Sénégal. Depuis, talent et chance lui ont permis de s’installer dans le sud de la France, où il expose régulièrement ses œuvres.
Arrivé à Montpellier en 1998, pour y retrouver sa femme, Ouzin travaille dans un cabinet de prothésiste dentaire. D’abord embauché comme « homme à tout faire », il attire l’attention le jour où, dans son coin, il reproduit à l’identique un modèle de bridge de la mâchoire inférieure. « J’ai toujours aimé travailler les détails, m’appliquer à reproduire avec précision les visages des gens ». Des années auparavant, sur le bateau qui l’emmenait chaque semaine voir son frère en Casamance, il s’exerçait en faisant gratuitement portraits et caricatures des touristes.
Impressionné par l’imitation du bridge, un de ses patrons veut lui donner sa chance en tant que prothésiste, mais son associé refuse. Pas question d’avoir un noir dans son bureau ! « Un coup dur » lâche Ouzin, le sourire aux lèvres. Mais le premier patron, bon samaritain, montre alors son travail à un cabinet voisin, qui n’hésite pas à l’embaucher. Dix ans plus tard, il y travaille encore.
Papa de quatre enfants, Ouzin vit à cent à l’heure, entre son travail, sa famille et sa passion, la peinture. Son originalité : les lingettes, qu’il utilise depuis le jour où, par chance, il oublie de prendre avec lui ses pinceaux. Pendant six ans, il accumule ses tableaux chez lui, ne les montrant qu’à ses proches. Mais un jour, en douce, son meilleur ami, un voisin de la Mosson, présente ses toiles à plusieurs galeries. Tainoti, au cœur du vieux Montpellier, propose de les exposer. Le début d’une longue série. Après avoir présenté ses œuvres à Frontignan, la Grande-Motte, ou encore Mauguio, il exposera en novembre et décembre, à la galerie Altissimo, à Odysseum.
Influencé par deux cultures, par la tradition chère aux yeux de sa famille et la modernité qu’il côtoie, sa peinture est « spontanée ». C’est son mot. Sous ses doigts naissent aussi bien des coquelicots que des baobabs. Il refuse les règles, et s’inspire de ce qui l’entoure : « les couleurs de ce t-shirt, cet arbre, ce sourire… Voilà ce qui m’inspire ! Mais parfois je pars sur une idée, et le tableau prend d’autres directions qui m’échappent. »
Ouzin ne comprend pas l’engouement des gens pour ses tableaux. « J’ai du mal à concevoir que quelque chose de si naturel pour moi provoque autant d’émotion. » La tête dans les nuages, il explique vivre dans une bulle et avoir parfois du mal à capter ce qui se passe autour de lui. Dernier exemple en date, ce sont les professeurs de son fils qui lui ont appris que ce dernier était précoce. «  Je n’avais rien vu alors que mon fils lisait parfaitement à 3 ans.»
Il est d’ailleurs temps pour lui d’aller retrouver ses enfants. Ouzin ramasse à la hâte ses tubes de peinture, bouts de bois et lingettes. Il va au bureau de tabac, où il est un habitué, et revient avec un sac en plastique où il fourre tout son matériel. Autour de lui, les clients du snack admirent son œuvre, et les félicitations fusent. L’artiste me tend une main toute propre. Qui penserait qu’il a réalisé, dans le dernier quart d’heure, la toile qu’il m’offre sous des regards jaloux ?
Emma Bonzom

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